Forêt, flore et faune

Texte rédigé par Dominique MERIGOT, adjoint au maire, avec la collaboration de Gilbert BASTIDE, technicien à l’ONF
et Jean-Jacques MERLE, accompagnateur montagne.

Introduction

DM : La richesse de la flore et de la faune dans la Vallée de Brezons nous a amené à questionner  en premier lieu Gilbert BASTIDE qui la découvre, si l’on peut dire, depuis vingt ans.
Nous l’avons d’abord interrogé sur la forêt qui couvre plus d’un tiers de la commune. Une forêt constituée essentiellement de hêtres de montagne, qui paraissent vivre là de façon endémique depuis des millénaires.

La forêt

Hêtres en automne
Hêtres en automne
DM : Peut-on parler de forêt primaire concernant cette hêtraie ?
GB : Pas du tout. Une forêt primaire se définissant comme une forêt qui n’a jamais été modifiée par la main de l’homme, comme dans certains pays tropicaux, la hêtraie qui couvre la plus grande partie des flancs de la vallée de Brezons est une forêt relativement récente. Elle date globalement du Moyen-âge. Avant cette période, et depuis 6 ou 7000 ans, le paysage était constitué d’un mélange de hêtraie-sapinières.

DM : Que s’est-il passé alors ?
GB : Le Moyen-âge a été une période de déforestation massive et a été suivie d’une reforestation progressive en fonction des besoins en bois des habitants de l’époque. Deux essences majeures furent alors privilégiées suivant les régions. Le sapin devait pourvoir au besoin de construction (bâtiment, chantiers navals…), alors que le hêtre était surtout utilisé comme bois de chauffage pour les résidents locaux et alimenter les fours à pain banaux des communes.
Les premières correspondaient aux forêts royales, devenues plus tard forêts domaniales. Les secondes constituaient le fonds de réserve des populations locales.

DM : La hêtraie de Brezons entre donc dans cette dernière catégorie.
GB : En effet, il s’agissait d’un ensemble de forêts sectionnales et privées.

DM : Sur un plan économique, cette hêtraie a vu émerger il y a un siècle environ, je crois, la fabrication de charbon de bois.
GB : Il y avait en effet  dans la Vallée de Brezons, plusieurs installations qui permettaient de descendre le bois depuis les « travers » d’abord à dos de mulets puis par des systèmes sophistiqués de poulies et de cables.

DM : Le village « fantôme » des Baraques, sur le versant sud du ruisseau d’Enclouts, au bout de la Vallée, semblait vivre de cette activité, jusqu’au jour où le produit ne devint plus concurrentiel.
Pour revenir à la forêt, et aux différentes espèces présentes dans la Vallée, que peut-on trouver à part les deux essences évoquées plus haut ?
GB : Associé au hêtre, on trouve le noisetier qui grandit dans les zones défrichées, repoussant plus vite que le hêtre. Les autres essences présentes sont le bouleau jusqu’à 1400 m d’altitude, le saule qui profite des fréquentes zones humides pour envahir l’espace qui lui est offert, l’alisier et ses jolies feuilles au-dessous argenté, le tremble, le merisier et ses bouquets de fleurs blanches à la sortie de l’hiver, le frêne qui ne donne ses feuilles que fin mai et un peu d’aulne, appelé aussi le vergne. Le chêne est présent, quant à lui, au sud-est de la commune et donne un caractère spécifique aux villages de Méjanesserre, Lidar, Le Chirol. Par contre, le châtaignier n’est pas présent. On le trouve à partir du département voisin, l’Aveyron.

DM : Quant à l’acacia, je l’évoquais un jour avec une brezondine de souche ; elle ne connaissait pas cet arbre. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’évolution de la forêt sur le territoire de la vallée ?
GB : Nous assistons depuis le milieu du siècle dernier à une expansion considérable de la forêt qui « mange » peu à peu les pâturages. En un siècle, la forêt a probablement doublé de surface.

DM : Quelle en est la raison ?
GB : Tout simplement, parce que la population de Brezons a été divisée par dix depuis la première guerre mondiale. Le massacre des hommes s’est prolongé par un exode rural massif qui a dépouillé les exploitations agricoles de leur personnel. Les familles nombreuses ont disparu ainsi que la main d’œuvre pour le travail non mécanisable. Les photos que nous possédons sur le début du vingtième siècle  sont aujourd’hui étonnantes. Les travers étaient cultivés d’orge dont la paille, fauchée à la main, servait à la couverture des granges. Aujourd’hui, on se dispute l’attribution des prés communaux plats mécanisables pour en faucher le foin. Pendant ce temps, les arbres poussent dans les travers.

La fabrication de charbon de bois servait à produire le gaz des gazogènes, une invention de Georges Imbert à la fin du 19ème siècle qui équipa un certain nombre de véhicules, notamment au cours de la seconde guerre mondiale. Le charbon de bois, brûlé en vase clos, produisait des gaz combustibles tels qu’oxyde de carbone, dihydrogène, méthane, utilisé dans les moteurs .

Véhicule à gazogène
Véhicule à gazogène

 

La flore

DM : Du fait de son caractère bien préservé, la Vallée offre du printemps à l’automne une variété florale de montagne exceptionnelle. L’amoureux des fleurs comme le botaniste seront servis dans leur curiosité. Les couleurs témoignent d’une bonne qualité de l’air. Cela respire la beauté, ce qui est conforté par l’abondance des lichens.

Avril-mai

Pensées
Pensées
Orchis sureau
Orchis sureau
J-J M : Les premières fleurs à faire leur apparition en altitude, alors que la neige est encore présente par plaques, sont le crocus et la belle gentiane printanière, d’un bleu vif, dont les pétales se déploient sur une sorte de tube.
DM : Quand les modestes pissenlits couvrent les prés à la sortie de l’hiver (en avril) alors que la neige persiste plus haut, le promeneur s’arrête, ravi. Les violettes sont déjà là. Les pensées sauvages. Et si vous voyez alors un petit arbuste (50 cm) sans feuille, sur le talus d’un chemin creux,  offrant ses fleurs qui rappelle le lilas, vous êtes en présence de « bois joli ». Puis viennent les myosotis, les petites potentilles jaunes, les coucous et les premières orchidées roses, jaune pale ou, comme le long du sentier du Saut de la Truite, violet foncé avec des feuilles tachetées (orchis sureau).
GB : La vallée de Brezons cache, en sous-bois, une espèce d’orchidée unique, l’épipogon, dont je fus l’heureux découvreur  dans une zone précise dont je ne vous révèlerai pas le nom pour sa protection.
J-J M : On admirera aussi les cousines des petites anémones blanches sylvestres qui s’épanouissent dans les prés ou les fourrés au-dessus de 1100 mètres : l’anémone pulsatile, d’un rouge carmin profond et au cœur d’or, ainsi que l’anémone soufrée qui donnera plus tard dans l’été de nombreux poils d’argent.
DM : Sur les pâturages d’altitude, les narcisses éclosent en larges colonies, offrant leur parfum envoûtant. Les jonquilles les suivent ou les précédent, suivant l’altitude. Elles ne sont pas dans les sous-bois comme en plaine. L’ombre des hêtres ne doit pas leur convenir.

Enfin fleurissent les genêts partout où la main de l’homme ne les a pas coupés pour éviter leur expansion dans les pâtures.  Les landes et les friches offrent alors une explosion d’or. Que la montagne est belle !

Les landes
Les landes

Juin

Arnica
Arnica
DM : Juin voit l’éclosion d’une variété florale extraordinaire.
J-J M : L’arnica, cette grande fleur jaune plutôt solitaire (elle ne pousse jamais en colonie) dont la teinture est si bénéfique sur les ecchymoses et les foulures.
GB : En altitude, vous rencontrerez peut-être le magnifique lys martagon, rose tacheté, qu’il faut protéger du fait de sa rareté. Vous croiserez peut-être aussi, dans les rus qui sillonnent les alpages, ces grosses renoncules d’eau au jaune vernissé.
DM : Les rochers qui jonchent les pâturages se couvrent en juin du délicat serpolet que vous ramasserez peut-être pour agrémenter vos plats cuisinés ou préparer des infusions antigrippales. Si vous aimez la cuisine, vous ramasserez vers les crêtes un peu de fenouil des alpes (la syrte), que vous aurez peut-être foulé au pied sans le remarquer sinon par sa typique odeur de fenouil. Son goût précieux l’a fait choisir par Michel BRAS, de Laguiole, comme logo de son restaurant.
J-J M : Et, puisque nous sommes sur le registre culinaire, n’oublions pas le trèfle incarnat (trefolium alpina) dont les racines fournissent la réglisse.
GB : Plus bas sur les talus forestiers, la petite campanule simple voisine avec une variété plus haute , jusqu’à 40 cm de hauteur, à larges feuilles.
Vivant souvent par colonies, vous rencontrerez peut-être la belle ancolie, de même taille environ, offrant au promeneur ses beaux capuchons d’un bleu vif.
DM : Superbes aussi et de même hauteur, deux variétés d’aconits . L’une, bleue, qui préfère le grand air des alpages et qui se plait en groupe, l’aconit napel, l’autre, solitaire, jaune pâle, qui préfère les zones ombragées des talus, et dénommée aconit tue-loup. Attention ! Les deux variétés sont particulièrement toxiques et les bêtes ne s’y trompent pas.
GB : A partir de juin se développe aussi sur les talus deux sortes de cardamines, l’une fréquente, de couleur blanche, à sept feuilles, une autre plus rare, à cinq feuilles, couleur lilas.

Juillet-août

Epilobes
Epilobes
Reine des prés
Reine des prés
DM : C’est la période de développement massif des épilobes, ces grandes tiges de bouquets mauves qui peuvent atteindre1,80 m de hauteur et couvrent des talus entiers dès 800 mètres d’altitude.
A la même altitude, dans les zones humides et les talus suintant d’eau courante, c’est la reine des prés qui devient vite envahissante. Presque aussi haute que l’épilobe, elle se présente sous la forme de plumeaux vaporeux, jaune pâle. Son parfum suave donne des infusions très agréables, à condition d’en utiliser modérément. Elle est fébrifuge et apaisante, recommandée entre autres contre les rhumatismes.
J-J M : En altitude, durant l’été, se développent les gentianes. La plus commune, la jaune, d’une hauteur de 50 cm à 1 mètre, est celle dont on
Myosotis
Myosotis
tire l’apéritif bien connu, à la saveur amère si particulière. Attention de ne pas la confondre avec le vérâtre dont les feuilles sont ressemblantes mais qui fleurit très différemment. La seconde gentiane, dans les alpages d’altitude, ne dépasse guère 15 cm et offre sa profonde corolle bleue au promeneur. Cette dernière est souvent proche des tapis de myrtilliers qui couvrent les pentes. Indiquons aussi la gentiane champêtre et la gentiane pneumonanthe.
GB : En altitude, mi août, la bruyère fleurit, appréciée (naguère !) par les abeilles. Si vous randonnez en crête par temps chaud, leur parfum sera presque lourd tellement la miellée se fait importante.
DM : Ah, nous avons oublié la commune marguerite qui fait pourtant de si jolis bouquets sur nos talus, à toute altitude, pendant la période estivale. Sans doute nous en oublions d’autres… Justement, le myosotis… « Ne m’oubliez pas » est sa devise.

Nos amies les Bêtes

Chamois
Chamois
DM : Ce qu’on appelle le gros gibier, les cervidés, les chevreuils, les sangliers, les chamois ont-ils toujours habité la vallée de Brezons ?
GB : Non.
J-J M : Ou il y a très longtemps.
GB : Mis à part le sanglier, le renard, le lièvre et le blaireau, les autres espèces ont toutes été réintroduites récemment, essentiellement après 1960, sous l’impulsion de la fédération départementale des chasseurs.

DM : C’est donc d’abord pour la chasse que ces espèces ont été introduites sur le territoire.
GB : Oui. Les chamois ont été amenés des Alpes en 1978, le mouflon de Corse dans les années 72-73,
J-J M : Peut-être même plus tôt.
GB : Le cerf en 1966. La faune était beaucoup moins giboyeuse qu’aujourd’hui.

Marmotte
Marmotte
DM : Et les marmottes ?
GB : Elles sont là depuis environ 30 ans. Mais elles sont restées plus sauvages que dans les alpes où leur nourrissement par les promeneurs les a rendues totalement dociles.

DM : Plus près des habitations, siègent les fouines, les belettes et la belle hermine. Les renards et les martres cruelles défraient parfois la chronique des villages en ravageant la nuit les poulaillers qui n’auraient pas été soigneusement clos.
GB : Mais si le renard se ravitaille ainsi en période de disette, la martre et la fouine ont la spécialité de saigner les volatiles sans en emporter aucun, laissant derrière elle un carnage épouvantable.
DM : Ivre de sang, il est même arrivé qu’elle s’endorme à même le nid des poules et se retrouve nez à nez, le matin, avec la fermière qui vient ouvrir la porte aux pondeuses.

Mais parlez-nous un peu des rapaces qui vivent sur les hauteurs de la vallée. Y a-t-il des aigles ? Des faucons crécerelle ?
GB : Ils sont très rares et petits. Le milan royal est l’espèce la plus fréquente. Il est bien reconnaissable avec sa queue en V.
J-J : Je crois d’ailleurs que le Cantal possède la plus belle population de France de milan royal.
GB : On rencontre quelques vautours qui remontent des gorges du tarn.
J-J M : Notons aussi cet immense rapace, qui peut atteindre deux mètres d’envergure, le circaète Jean le blanc. Et le petit faucon crécerelle.
DM : Il n’est pas rare de  voir une buse juchée sur quelque piquet de clôture en passant au col de la Grifoul. Vous trouverez également des éperviers, plus petits et rapides, ainsi que la bondrée apivore (une sorte de grosse buse) mangeuse d’insectes. Parmi les gros oiseaux, notons aussi le grand corbeau avec sa queue en éventail, et la corneille.
Parmi les oiseaux de moindre taille, on trouvera le pic noir, en expansion et la gracieuse huppe fasciée, discrète, dans les haies.

Huppe fasciée
Huppe fasciée

DM : La vallée de Brezons est aussi une halte migratoire  fréquentée. A l’entrée de l’hiver, des nuages de passereaux, d’oies sauvages, de grues fendent le ciel de leurs appels gutturaux, en descendant vers le sud. Parfois une cigogne égarée fait une halte, avant de reprendre son envol. Les hirondelles sont de la partie.
J-J M : Le Col de la Tombe du Père est un lieu privilégié pour le comptage des oiseaux migrateurs.
Cigogne de passage
Cigogne de passage
DM :
Je terminerai en évoquant mes petites copines, les mésanges, fidèles au rebord de notre fenêtre de cuisine, l’hiver, habituées à venir chercher ici la pitance que couvre alors pour plusieurs mois la neige abondante. Quels échanges joyeux avec la petite nonette qui cherche activement notre présence et la gratifie de son chant amical.
Papillons
Papillons
DM :
La vallée, c’est aussi un microcosme fabuleux qui occupent les prés et les sous-bois. J’y ai retrouvé des espèces d’insectes que je n’avais plus vu depuis mon enfance. Des papillons et des grosses libellules qui nous frôlent hardiment. Les papillons semblent si peu farouches. Un jour, nous étions assis pour déjeuner à l’orée des bois, dans le Cirque de Grandval. Un superbe papillon, qui ne m’a pas dit son nom, est venu se poser sur mon visage. Il est resté ainsi pendant cinq minutes, jouant parfois des ailes, le temps de se faire photographier  pour la postérité. Un autre jour, nous étions trois à nous promener dans ce même Cirque de Grandval, le long des bois. L’étonnement intégral ! Une cigale nous a chanté les couleurs du midi jusqu’à ce que, nous voyant trop près d’elle, elle retrouve sa discrétion légendaire. J’appris alors que certaines cigales pouvaient migrer ainsi jusqu’à nos latitudes. Le bonheur est ainsi dans nos prés.
GB : Allez, il faut aussi évoquer des hôtes moins chantants, les petites vipères rouges ou vert-gris qui n’apprécient guère qu’on les dérange dans leur sieste estivale.
DM : Parfois c’est quand même elles qui nous dérangent. Tel ce jour où, entrant dans notre maison à l’improviste, l’une d’elle avait investi notre salle de séjour. Mordant, non ? Orvets et couleuvres sont impressionnants mais plus sympathiques.
Salamandre
Salamandre
J-J M :
Côté amphibiens, il faut noter la quasi-disparition des grenouilles.
DM : Parmi les amphibiens, plus discret, la salamandre est assez fréquente dans nos nombreuses zones humides, nos fossés, avec son drapé noir et or qui lui a valu de se voir longtemps attribuer des pouvoirs magiques, heureux ou plus souvent maléfiques.

La nature va ainsi son cours, et l’homme s’en écarte pour mieux lui imposer les fantasmes absurdes de son ignorance, la dénier et se perdre lui-même. Heureusement, dans quelques espaces retranchés de l’agitation humaine, des êtres se retrouvent vivant en harmonie. Qu’il en soit ainsi longtemps dans la haute vallée de Brezons.

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